Marseille, eBoy
Marseille, eBoy, in Playtime

Première industrie de loisirs, l’industrie du jeu vidéo devance à présent l’industrie du cinéma et même celle de la musique. Il n’est donc pas anodin qu’une nouvelle génération d’artistes s’intéresse à cette question et en fasse son terrain d’investigation. Duchamp, les Dadaïstes ou encore les artistes du mouvement Fluxus, voyaient d’ailleurs le divertissement et le jeu comme les formes ultimes de la subversion dans l’art. Critique distanciée d’un monde simulacre, ou détournement du jeu par un changement de perspective, les stratégies artistiques invoquées sont multiples et prennent la forme d’installations dans les musées et dans les galeries d’art contemporain, de jeux pour PC ou sur Internet, ou encore de jeux en réseau ou dans la ville. Le jeu vidéo devient en moins de trente ans d’histoire, un moyen d’expression et un moyen de représentation.

Jouer au réel

Parce que le pouvoir se fonde sur la violence, les enfants jouent à la guerre. Parce que le monde se virtualise dans un flot incessant d’images et d’informations, les artistes empruntent au jeu vidéo ses codes, pour faire miroir à une réalité de plus en plus illusoire.

L’exposition Jouer au réel présentée à Meudon en décembre 2007, propose une vision décalée de la relation art et jeux vidéo avec la mise en perspective du réel par l’univers des jeux. L’installation minimaliste de l’artiste toulousain Damien Aspe : Russia with fun est un mur de volumes qui représente le célèbre jeu Tétris inventé par Alexey Pazhitnov en 1983. On a dit de ce jeu qu’il avait été une des armes les plus puissantes du bloc de l’Est contre la rentabilité du capitalisme à l’occidentale… Reflet d’une époque où le destin du monde ne tenait qu’à un bouton rouge, celui de l’arme atomique.

La vidéo Mathias de l’artiste français Yann Groleau, joue quant à elle, de la narration elliptique dans une interview entièrement remaniée d’un joueur du jeu massivement multi-joueurs World of Warcraft. Un jeune homme aux allures d’adolescent y narre ses combats à la hache, au couteau avec des marchands ou des ennemis virtuels et raconte comment il se sépare de ses femmes en les tuant. Le décalage entre le discours ultra violent et l’image du jeune homme est surprenant.

La question du politique dans les jeux

Si vous demandez à un joueur pourquoi il aime jouer, il vous répondra toujours « parce que c’est fun ». Le fun est ainsi devenu une des questions majeures, car le jeu vidéo est le nouveau médium par excellence. C’est un outil utilisé pour communiquer, pour vendre, mais aussi pour manipuler les esprits ou pour influencer certains comportements. Parce que les médias tendent à donner une représentation du monde auquel on ne peut pas jouer et que l’on peut uniquement consommer, les artistes proposent des œuvres qui dénoncent la guerre et un modèle unique de société néo-libérale.

C’est le cas de (t)error de l’artiste autrichien Robert Praxmarer, présentée lors de l’exposition No Fun : games and the gaming experience en Norvège en 2005. Une installation vidéo interactive qui propose au spectateur de jouer à la place de Oussama Ben Laden ou de Georges W Bush. C’est aussi la thématique de la fresque War Memorial Monument du néerlandais Arno Coenen, un tableau à l’esthétique pixéllisée représentant les protagonistes de la guerre du golfe. C’est encore le sens de la dénonciation de l’ingérence humanitaire que l’on retrouve dans l’installation interactive Article 30 des Virtualistes, exposée à l’intérieur de Playtime -la salle de jeux de Villette Numérique en 2002.

Contre la prolifération des images et de l’information, les artistes et les activistes produisent un autre point de vue en utilisant l’esthétique des jeux vidéo ou en détournant les moteurs de jeux vidéo, afin de créer une distance critique à travers l’expérience du jeu. Si il est vrai que les jeux sont violents et qu’ils sont aussi utilisés par le complexe militaro-industriel pour former de futurs soldats, les artistes offrent une alternative au public en piratant les jeux pour concevoir des films (machinimas), de la musique (8bit music ou chip music, une musique conçue grâce aux consoles gameboys entre autres) ou encore des installations ou des vidéos.

Il est donc important à l’heure où les nouvelles générations voient leur imaginaire formé par les images de synthèse des jeux vidéo, d’apporter un regard critique sur cet univers du divertissement et de multiplier les possibilités d’accès du public à ces formes alternatives et artistiques de contenus liés aux jeux vidéo. Pour ce faire, il est nécessaire de confronter différents types de publics à différents types de contenus, comme avec l’exposition Playtime à Paris en 2002 ou l’exposition Reactivate à la Bibliothèque Victoria de Melbourne en Australie. Confronter le public des gamers à celui de l’art contemporain et aux professionnels des nouveaux médias. Aller chercher le public des jeux vidéo dans les salles de jeux et dans les banlieues, décloisonner chaque univers et sortir d’une vision élitiste de l’art héritée du 18è siècle pour repenser les jeux en termes critiques et esthétiques.

Isabelle Arvers
www.isabelle-arvers.com

Expositions sur la relation art et jeux vidéo :
Playtime, Villette Numérique, Paris, 2002
Reactivate, State Library of Victoria, Melbourne, Australie, 2004
Mind Control, Banana RAM, Ancona, Italie, 2004
No Fun Games and the gaming experience, Bergen, Norvège, 2005
Jouer au réel, Meudon, 2007