Après deux mois de résidence d’artiste Vidéoformes, je repars d’Auvergne transformée. Cette résidence a été riche humainement mais aussi personnellement. J’ai découvert des aspects de mon identité méconnus grâce aux recherches que j’ai effectuées sur le passé de ma mère et de mon grand-père, cachés en Auvergne pendant la seconde guerre mondiale. Les rencontres avec celles et ceux qui les ont connus, la découverte du réseau de résistance auquel appartenait mon grand-père m’ont fait aborder la question de l’enquête sur laquelle je n’avais jamais travaillé auparavant. Si le projet initial de ma résidence, était de réaliser un jeu vidéo à partir des souvenirs de ma mère, j’ai été obligée de changer de direction de travail. Non pas que le projet soit irréalisable mais parce que je me suis rendue compte qu’il fallait que j’apprenne la modélisation en plus de Unity, le moteur de jeu avec lequel je désirais concevoir le jeu Cellule.

Henri et Colette Zimet

Cellule pour le nom du village dans lequel se tenait l’institution Sainte Philomène, une pension dans laquelle ma mère a été cachée de 41 à 43. Un nom qui lorsque j’étais enfant m’évoquait uniquement l’idée d’une cellule de prison. Lorsque j’ai parlé de mon projet à Nicolas Gandion, game designer et développeur, il m’a donné une très jolie idée de gameplay : la cellule serait toute noire mais il y aurait à l’intérieur une petit fenêtre qui laisserait passer de la lumière et en fonction du déplacement de la lumière les souvenirs de ma mère seraient dévoilés. Nicolas m’a aussi proposé de m’initier à Unity mais j’ai très rapidement senti qu’il fallait pour pouvoir apprendre à me servir de Unity que j’apprenne aussi la modélisation..

Dans le même temps, je me suis transformée en enquêtrice, et j’ai commencé à interviewer des personnes ayant connu ma famille pendant la guerre. C’est là que mon projet à dévié. J’ai eu envie de pouvoir mettre en valeur ces témoignages et de raccorder cela à ma pratique de vidéaste en utilisant un moteur de jeu vidéo. J’ai donc entamé l’élaboration d’un machinima à partir des différents matériaux que j’ai récupérés à Marsat, village où ma mère a été cachée de 39 à 41 et où mon grand-père l’a rejointe six mois aprés en 39. A partir des photos retrouvées de la maison qui les a abrités j’ai commencé à animer les personnages de ma mère et de mon grand-père. A ces images, j’aimerais intégrer des extraits audio des témoignages que j’ai récoltés.

Je ne souhaite pour autant pas laisser mon projet de jeu vidéo, mais je pense qu’il faudra que je travaille avec d’autres personnes sur ce projet, je ne pourrai donc pas le réaliser de manière autonome comme je le pensais de prime abord. Avec Gabriel Soucheyres directeur du festival Vidéoformes, nous recherchons à présent des partenaires en prestation pour pouvoir concevoir ce projet en étant accompagnée.

Lorsque je dis que cette résidence m’a transformée, c’est que j’ai découvert que malgrè mes différentes origines étrangères, il y a en moi quelque chose qui me relie à l’Auvergne. J’ai toujours eu beaucoup de défiance vis-à-vis d’un pays qui a collaboré et qui n’a pas su reconnaître les méfaits de la colonisation, pourtant, pour la première fois, j’ai ressenti que quelque chose me reliait à la France, là en Auvergne. Que si ma famille avait survécu, c’était parce que des personnes avaient juste estimé bon de se taire. Que des gendarmes prévenaient la famille qui cachait mon grand-père lorsqu’une rafle allait avoir lieu. Que le silence est une forme de résistance et que si l’Auvergnat est taiseux ou solidaire parce qu’issu d’une terre rude, eh bien ma famille lui doit son salut alors que les personnes savaient.

Elles savaient parce que mon grand-père était tailleur et que son travail était connu et reconnu dans la région, mais les habitants les ont cachés. Mon grand-père a même fait un peu de résistance et son histoire se lie à celle de la Résistance en Auvergne. Ami d’un résistant nommé Guignard, chez qui il allait écouter la radio, il appartenait au réseau Pierre Caille, proche de Jean Menut et d’Hariette Menut, capturée au Mont Mouchet puis torturée. Il a sans doute caché quelques armes et parachutes.

Jean Menut Chagrin et la Pitié

Comme il était dans les transmissions pendant la première guerre mondiale en Autriche, peut-être a-t-il aussi été actif dans ce domaine. Personne n’a pu me le confirmer. Une grippe l’aurait empêché d’aller se battre au Mont Mouchet et comme lui disait ma grand-mère : « ça ne te suffisait pas d’être juif, il fallait encore que tu fasses de la Résistance » et mon grand-père de lui répondre : « c’est le minimum que je dois au pays qui m’a accueilli. »

Alors, pour la première fois de ma vie je me suis sentie appartenir un petit peu à ce pays et c’est énorme. J’ai à présent un attachement réel pour cet endroit. Bien entendu les rencontres que j’y ai faites ont joué pour beaucoup, car je me suis aussi attachée à ceux qui m’ont magnifiquement accueillie, que ce soit à Clermont-Ferrand ou à Billom ou encore à Marsat. J’ai quitté chaque personne rencontrée avec émotion et c’est le deuxième effet auvergnat;)) L’accueil au Collège du Beffroi par Fanny Bauguil, professeure d’Arts plastiques a été plus que sympathique. J’ai adoré ma rencontre avec Fanny car nous avons pu partager intellectuellement mais aussi artististiquement et j’ai découvert aussi la vie à Clermont, très riche… Je suis par ailleurs ravie de notre collaboration sur le projet de cartes postales vidéos que nous avons imaginé avec la classe de 4è4, en lien avec le cours de géographie sur les paysages urbains de Madame Delomo.

Nous avons travaillé avec les élèves sur les quartiers d’affaire et sur les favelas en les faisant jouer à GTA, ainsi qu’à Watch Dogs et Papa & Yo. Ils ont ainsi réalisé des captures vidéo de ces jeux, puis en cours de géographie, ont eux-mêmes conçu des quartiers d’affaires ou de bidonvilels à partir du logiciel Moviestorm. Ensuite, nous avons effectué une sortie dans le centre moyenâgeux de Billom et avons documenté cette sortie en vidéo. Les élèves ont eu ensuite plusieurs séances en salle multimédia afin de réaliser un montage de toutes ces sources pour concevoir une carte postale vidéo mêlant prises de vues réelles et prises de vue virtuelles.

Dans le cours d’Arts plastiques de Laure Dejazet, nous avons travaillé sur la notion de matière traitée de façon immatérielle. Les élèves avaient eu à penser la matière à partir de différents matériaux collés sur un carré gris. Nous avons alors photographié leurs travaux en faisant beaucoup de gros plans pour pouvoir ensuite mettre en valeur la matière photographiée en l’intégrant au moteur de jeu Moviestorm pour pouvoir ensuite opérer des déplacements dans l’image et concevoir des films grâce à la caméra virtuelle de Moviestorm.

Nous avons aussi travaillé la question de l’espace et de sa réappropriation dans le cadre d’un atelier animé par Sandrine Gutteville, elle aussi professeure d’Arts plastiques. Nous sommes partis de l’espace du réfectoire qui compte de nombreux hublots pour fenêtres. Là encore des photographies du réfectoire ont été prises par les élèves et ont été intégrées au moteur de jeu vidéo. Des décors de réfectoire ont aussi été imaginés en 3D afin d’opérer un mélange entre images photos et décors 3D, puis des films ont été réalisés, entre visite d’expositions virtuelle ou courts-métrages surréalistes.

Pour accompagner le programme de français de Véronique Lenne, nous avons imaginé la suite du roman Vendredi ou la vie sauvage, avec une classe de 6è. Des îles ont été conçues par les élèves qui avaient au préalable écrit un scénario et des dialogues. La deuxième séance a consisté à animer et à faire dialoguer leurs personnages pour terminer par la manipulation des caméras, le montage et le rendu de leurs court-métrages.

Enfin, j’ai animé deux ateliers machinimas avec les jeunes voyageurs du collège, suis allée les écouter à plusieurs reprises pendant leur temps de chant avec Sylvie Pakova et ai réalisé un film court à partir de l’enregistrement d’une de leurs chasons : Bambara qui raconte l’histoire d’une coccinelle.

L’accueil de toute l’équipe du collège a été plus que chaleureux avec une mise à disposition de contacts et d’informations par la principale Madame Salcédo, des plus utiles et fructueux. Qu’il s’agisse de faciliter la médiation à mettre en place au collège et dans Billom ou de mes recherches concernant l’histoire de ma famille et de la Résistance pendant la dernière guerre. Je me suis vraiment sentie accueillie, ainsi que par les professeurs dans leurs cours et leurs programmes pédagogiques, sachant qu’en plus j’avais une salle réservée dans le collège. Le fait d’être logée par la Mairie dans un chalet est aussi très agréable, car le lieu est très calme et se prête parfaitement à l’accueil d’un artiste en résidence. Le seul bémol est qu’il n’y a pas de connection internet.

La médiation s’est étendue en dehors du collège de Billom car mon logement était offert par la Ville. Je suis donc intervenue à l’Ecole élémentaire avec une classe de CM1, sur un film entre passé et présent, l’école ayant été construite au 18è siècle ; ainsi qu’auprès de la population en présentant des jeux et de la vidéo à l’Espace du Moulin de l’Etang lors d’une sortie de résidence d’une troupe de théâtre. C’est d’ailleurs la rencontre avec Florent Labarre, responsable de la Culture à la ville de Billom qui a fait prendre une tournure nouvelle à mon projet de recherche, car Florent m’a fait rencontrer les responsables d’une épicerie ancienne à Billom, dont la cave avait accueilli des réunions de la Résistance. En discutant avec ce couple, j’ai pris connaissance de publications sur la Résistance écrites par un ancien journaliste de la Montagne – Manuel Rispal – que j’ai immédiatement contacté. Son aide a été précieuse et décisive et m’a permis de lancer mon enquête.

A l’issue de cette résidence, un premier constat, je n’ai pas eu le temps de finaliser mon projet de recherche mais il est bien lancé et je sais que je vais travailler sur ce projet dans le smpis à venir. Une envie de revenir sur place, pour revoir celles et ceux qui m’ont accueillie et accompagnée mais aussi pour continuer mon projet et enfin revenir pour présenter mon travail dans le cadre du prochain festival Vidéoformes, à l’invitation de Gabriel. A suivre donc et avec grand plaisir !