Interview de Patrick Rognant, fondateur de l’émission Rave Up sur FG, par Isabelle Arvers, Gizmoland2001

Les 10 ans de Rave Up ?

En septembre on va fêter les vingt ans officiels d’FG, qui remonte à la date de la libération des ondes. FG, avant la mi-81 existait déjà en tant que radio pirate, on émettait d’un peu partout, de l’appartement de Delphine Seyrig place des vosges… entre autres puis c’est devenu quelque chose de sérieux avec une grosse équipe, et moi j’ai été choisi car j’étais un des rares journalistes gays à m’intéresser aux musiques rock et extrêmes et j’en étais un peu un spécialiste car j’avais travaillé dans une boutique d’importation de BD et de disques très rares qui s’appelait le Lotus Bleu. J’ai commencé à écrire des articles mais sur des choses très peu connues alors et en septembre 81, j’ai lancé une émission qui s’appelait Vaudou et qui mélangeait déjà toutes les musiques new wave, synthétiques, expérimentales et qui préfiguraient déjà la techno moins le côté dance. Le côté dance est une invention des noirs-américains de Detroit, de rajouter du groove sur des sons à la Kraftwerk. C’est ça la naissance de la techno telle qu’on l’aime actuellement.

A quelle époque la techno est-elle arrivée sur FG ?

La techno est arrivée en deux temps, à une époque où FG s’appelait Future Génération, on occupait des locaux chez Gai Pied (mais je n’ai pas participé à cette époque de la radio), il y avait sol rousseau de BPM (une boutique house très célèbre) et Samira, une lesbienne beur qui a travaillé sur Cité 96 une radio new wave et tous les deux ont amené la techno house, version new york. Et moi, je suis arrivé fin 90, alors qu’FG était vraiment mourrant. Je leur ai proposé qu’FG devienne une radio totalement techno house, parce que ce créneau n’était absolument pas occupé et c’était quand même la musique que les gays écoutaient déjà dans les clubs comme la Luna à Paris, ou les clubs de New York et de Londres. Les gays sont quand même toujours en avance sur les musiques de dance, pas tous les nouveaux sons mais c’est vrai pour le son dance.

C’est à ce moment-là que tu crées Rave Up ?

On a créé plusieurs émissions, entre autres Happy Hour, qui avait lieu tous les jours avec au début Jean Yves Leloup, qui s’occupait de choses tout à fait expérimentales. Il est devenu mon assistant, puis Didier Sinclair s’est occupé d’Happy Hour car pour moi, ça devenait trop commercial. Ca ne m’amusait plus comme au début pour accueillir les premiers grands artistes alors j’ai préféré aller faire la fête et autre chose.
Rave Up était l’émission du samedi soir, on faisait écouter les très bonnes nouveautés, on annonçait les bonnes fêtes et on accueillait les DJ’s qui allaient faire danser la ville, mais dans les raves et non pas à l’époque dans les clubs.

Les débuts de l’émission ?

On a accueilli la fine fleur des Dj s parisiens dont certains vont devenir très connus comme Djulz, Jérome Pacman, Guillaume la Tortue, Olivier le Castor, Bertrand, toute une pléiade de DJ français qui ont été lancés et ensuite, progressivement des bons DJ înternationaux même si il faut avouer qu’on n’a pas eu au départ que des bons, et après nous avons eu tout le monde : Lenny Dee, Undergrund Resistance, Armando, Plus8… et Liza, parce qu’on se connaissait et que, en plus, elle est devenue célèbre à Paris, c’est une des personnes qui a le plus joué à FG, elle nous faisait des mixs spéciaux qui étaient très attendus et qui ont contribué au succès de l’émission.

Quelle était la couleur musicale de l’émission au départ ?

Au début, Rave Up était une émission totalement pionnière, on ne pouvait pas vraiment savoir comment s’articulaient les choses, en plus certains des musiciens et des DJs n’avaient pas encore choisi leur style, parce qu’à cette époque tout était mélangé et même dans les programmations, les styles n’étaient pas encore totalement affirmés. Le public, car c’est lui, va créer beaucoup plus les styles : les fans de hard core vont vite adopter ce style rasé, et les choses vont se séparer, un petit peu pour le malheur de la musique, parce que ce serait bien pour la force de la techno qu’elle se remette ensemble. Les petites fêtes spécialisées sont apparues dans la house et la techno us mais aussi la transe, les gens de goa qui préféraient faire des choses plus softs en évitant les stroboscopes qui agressent les gens en faisant des choses plus colorées, plus en rapport avec la nature, ce qui est pas mal pour les fêtes parce que ça évite les malaises et angoisses qu’on peut avoir dans les hangards et les petits clubs enfumés.

Le principe de Rave Up comme émission suivant les raves et les dj’s s’est transformé à partir de quel moment ?

Les 4/5 premières années, on a exploré tous les genres, même de la vraie techno, pas forcément américaine d’ailleurs, la transe psychadélique et le hard core, un petit peu l’acid core. Mais ça m’a vite lassé à cause de la dérive des technival qui a un petit peu altéré cette musique et aussi du fait que les fêtes étant devenues gratuites, plus aucun bon dj de ce type de musique n’est venu jouer à paris et ça c’est dommage. C’était un véritable chaos dont sont émergé les free party mais qui ont finalement tué les raves et l’esprit qui en découlait. C’est toujours bien de se réunir pour danser mais pas pour saccager l’environnement.

Les teknivals en particulier étaient devenus ingérables. J’avais l’impression que j’allais avoir des ennuis à force d’être complice d’une véritable catastrophe, car souvent il se passait des choses vraiment pas cool. Le milieu du hard core est un milieu où il y a eu des divisions, des conflits entre les gens… On ne peut pas gérer trois milieux de gens surexcités, car ces gens, si tu ne les annonces pas, ils t’en veulent de façon hystérique et quand il y en a autant à annoncer, c’est impossible. Alors j’ai éliminé les plus turbulants : les teknival et le hard core…

De plus, je ne cautionne pas toutes les dérives musicales de ces milieux, ils s’amusent bien je pense qu’ils sont surtout défoncés, mais l’espèce de gargouillis qui nous est livré est franchement léthal, c’est dangereux ! Je ne suis pas un obsédé des vibrations musicales, parce que disons qu’on force les choses, mais dans les teknival, c’est un peu comme un jardin d’enfants qui a éclaté. Tout le monde s’amuse à jouer au dj sur son sound system mais on ne compose pas grand chose. Il n’y a pas de challenge de qualité entre les gens, c’est un supplice. Aujourd’hui, car à l’époque des Spiral Tribe, ce n’était pas le cas ! Après je me suis spécialisé dans la transe. Je suis devenu dj et j’ai un projet musical transe.

Les meilleurs moments de l’émission ?

On a accueilli des personnages vraiment étonnants comme Lenny Dee qui apporte une énergie incroyable, qui se comporte comme dans une BD us à la limite du Roger Rabbit, Jeff Mills, un petit black timide, très bien éduqué, mais qui se met à mixer comme un sauvage en changeant les disques toutes les minutes, il n’a plus le temps de les poser, il les jette ! Richard James des Aphex Twins où il faut se pencher de plus en plus pour écouter ce qu’il dit et on avait été obligés de monter le micro au maximum sans doute par timidité mais j’ai remarqué que beaucoup d’entre eux n’aimait pas tellement communiquer par le biais de la radio, d’autres oui par contre comme Sven Vath qui était très médiatisé en Allemagne lui il était intarissable comme Mad Mag d’Undergrund Resistance qui lui est un intellectuel bad boy noir américain, une sorte de Public Ennemy qui a vraiment un discours en béton armé sur la techno.

La suite de Rave Up après dix années d’existence ?

Pour l’instant, je n’en sais rien, à priori on continue, moi maintenant je suis dans la transe psychadélique et les choses vont évoluer, car de nouveau, la techno et la transe se mélangent, la transe s’est même mélangée à un moment à la jungle mais ce n’est pas allé très loin, donc c’est une musique en constante évolution, parce qu’elle est liée à une technologie qui n’en est qu’à ses balbutiements. Et puis les gens qui écoutent de la musique électronique vont continuer à en écouter, ils vont continuer à en consommer, ce ne sera peut-être plus ce mouvement hallucinant qu’on a vu, il y aura encore des fêtes à moins qu’on les interdise totalement mais les gens iront dans les pays du tiers-monde pour continuer à faire la fête et écouter de la techno.

Aujourd’hui il y a de plus en plus de fêtes au Mexique, qui est un pays très chargé symboliquement, il y a beaucoup de références entre la musique transe, les expériences psychadéliques qu’ont fait tous ces musiciens et ces artistes, et la création maja… Il y a aussi des fêtes en Israel, au Japon, en Afrique du Sud… Et à chaque fois, ce sont des lieux mystiques, que l’on appelle aussi les chakras de la terre, comme les montagnes de christal, le mont fujiyama (centre du zen pour les japonais) … Il va y avoir une fête en Zambie pour la prochaine éclipse. La transe, c’est l’esprit techno qui rentre en fusion avec les anciennes cultures, car dans les formes de cette musique, tu t’aperçois qu’il y a des structures de mantra et de choses vraiment très anciennes, nous répétons des rituels ancestraux et c’est important de faire connaître ça aux gens avant que ces cultures disparaissent totalement.

En ce printemps frileux, la culture électronique ne semble plus intéresser les foules, comment vois-tu l’avenir d’FG ?

FG a beaucoup de cartes dans sa manche ! elle reste la radio de la communauté gay, on y entend beaucoup de musiques qui passent dans les grandes soirées gay parisiennes, FG est aussi une des radios de la dance, de la dance alternative, un peti peu plus fashion, et elle a aussi ce côté techno même si elle le néglige car il touche un public plus large. Et ce public n’est pas conquis à cette techno underground, ils aiment Daft Punk, Laurent Granier…

On a 90000 auditeurs/jours ce qui énorme avec 10000 auditeurs par mois en 91 ! Quand on a fait FG tout techno, il y avait encore assez peu d’auditeurs, ça a augmenté au fur et à mesure et la part de la techno s’est ensuite amenuisée, quand les genres se sont mélangés.

LIZA N’ELIAZ
Comment as-tu rencontré Liza ?

Je l’ai rencontrée bien avant la techno parce que Liza faisait de la musique auparavant, elle a collaboré à des projets new wave belges qui étaient connus comme les Tueurs de la Lune de Miel, elle faisait les claviers et les synthés et Liza a été une des premières à se faire former aux machines d’informatique musicale, des samplers, elle avait une sérieuse avance… Et donc elle jouait aussi dans un groupe rock funk qui s’appelait Crise Cardiaque, très Prince, et ce groupe a joué en Bretagne et c’est à ce concert qu’Yvette (N’Eliaz) et Liza se sont rencontrées. Moi je connaissais Yvette depuis 5 ans déjà, parce qu’on était originaires de la même région. Et Yvette, à l’époque, organisait des concerts et des festivals de rock, elle a fait venir Orchestre Rouge, Tokow Boys et donc Liza en Bretagne a fait un projet de rock synthétique où elle chantait d’ailleurs, toute seule avec ses claviers, elle a fait des tournées avec Minimal Compact, le groupe new wave israelien…

Et vous êtes devenus amis ou c’est la musique qui vous a lié ?

Non, non, au début on était amis parce qu ‘on se connaissait par yvette et au niveau de la musique, Liza curieusement à cette époque avait des goûts musicaux beaucoup plus softs que nous à l’époque : elle écoutait de la new wave, de la disco, et comme ça elle a écouté très vite la techno américaine qui est arrivée très vite en Belgique dans les années 80, alors qu’Yvette et moi on était beaucoup plus radicaux : entre musique industrielle, psychadélique, gothique beaucoup plus dures. Et Yvette, je pense, a influé sur les goûts de Liza en lui faisant découvrir la musique industrielle comme Cabaret Voltaire et Liza a ensuite évolué dans ce sens.

Le premier projet musical qu’elle a fait en live dans l’ouest de la France pour les Transmusicales était quand même plus soft que ce qu’on a connu par la suite, c’était du post new wave. C’était vers la fin des années 80. Ensuite moi je suis parti dans la techno et pratiquement en même temps, Liza est venue dans les raves écouter les dj’s et elle a sorti un disque de techno où il y a un morceau house sur le label techno US Import d’Anvers, elle a cherché du booking sur Paris car elle commençait à connaître des gens à mon contact et au contact de Yann d’ US Import. Et c’est parti et c’est allé très très vite car il n’y avait pas tant de bons dj’s qui avaient une expérience musicale sur la scène parisienne et donc il y avait de la place pour Liza.

Elle ne jouait pas hard core à ses débuts de dj ?

Liza d’ailleurs m’a étonné, sur la rapide évolution de son set. Très vite, même si les styles n’étaient pas très définis à l’époque, elle a adopté un style plutôt musclé comme tous les gens du Bénélux, que ce soient les belges, les hollandais et particulièrement les flamands, tout le monde jouait déjà une house très musclée qu’on appelle hard house et le big gabber qui était aussi très présent partout et chez eux, c’est juste une accélération de la musique, c’est comme un jeu, quelque chose de très particulier à leur culture. Il faut y être aller pour le comprendre ! !

Pourquoi avez-vous eu envie chez FG, de rendre un tel hommage à Liza N’Eliaz ?

Parce que Liza a été quelqu’un de très important en ces dix années de fêtes parisiennes, ça a été un dj typiquement de la scène parisienne, elle a émergé ici, c’est le public français qui lui a rendu hommage. Le public belge ne la connaissait pas du tout ou ne l’a pratiquement pas connu… C’est quelque part émotionnel, ça représente tous les débuts de l’émission…

Une compilation de Liza et faite par Liza va sortir, et qui regroupe toutes ses périodes, donc des choses que ne connaissent pas les gens de la techno, des choses datant d’avant 91.

LA TECHNO COMME THÉRAPIE

Dans l’ensemble, moi je trouve que la techno, c’est positif, même les pires dj’s hard core de la hollande me disent : « mais patrick c’est woodstock, regarde il y a 12000 jeunes rasés complètement énervés qui ont avalé toutes les drogues de la terre et ils sont en train d’écouter une musique de dingue avec une sono à faire peur, ça arrive carrément par la plante des pieds et il ne se passe rien ! personne ne se massacre, tout va bien… »

Ce qu’on a remarqué avec la techno, c’est que ça adoucit les moeurs, la techno et les drogues qui vont avec, on n’a jamais eu de pogroms de catastrophes que des petites bagarres qui n’ont pas trop dégénéré et de rares malaises ou overdoses ou braquages, bien que dans les technivals il y ait parfois certains dérapages.

C’est une sorte de thérapie, peut –être, ça absorbe beaucoup de cette énergie agressive qu’il y a chez les jeunes et que tu ne peux plus exprimer sans bouffer la vie des autres, comme les jeunes rappers, qui devraient d’ailleurs se défouler un peu plus ! Là ce qui m’étonne car je lis la presse, c’est que les rappers américains sont en train de découvrir l’extasy, je me dis mais putain ! ils ont 16 ans de retard sur les gays américains ! ! Maintenant on fait chier les ravers alors qu’Eminem vous raconte dans ses concerts devant 15000 personnes, que ça y est, il a pris le truc et que ça monte et qu’il nous fait toute une chanson là dessus, j’hallucine ! D’ailleurs j’ai toujours pensé que la techno n’aurait pas dû se séparer du rap, les dj’s de Detroit eux continuent à mixer du rap et on aurait dû continuer à méler ces deux musiques, ça aurait adouci le rap et ils auraient endurci la techno ! (Ca nous aurait éviter Daft Punk mais ça il ne faut pas l’écrire ! !) rires…

La techno est arrivée à new york en pleine période sida, l’ambiance d’enterrement qu’il pouvait y avoir ! ! alors je trouve que c’est une très bonne chose le moral… regarde le brésil, ils font énormément la fête et la techno arrive là bas. Je pense qu’on n’a pas assez bien présenté la techno, personne ne voulait le faire car les gens avaient peur d’avoir les autorités sur le dos, mais il faudrait proposer la techno comme une thérapie soft à beaucoup de problèmes de société : les hautes toxicomanies par exemple, la cocaïne, l’héroïne, la techno c’est quand même plus soft…

Et puis tous les gens qui sombrent dans la déprime, qui sombrent dans la solitude et qui coûtent à la collectivité une fortune, parce qu’ils se font rembourser leur prozac ! C’est une thérapie où les gens dansent ! (nd isa : la première origine du mot thérapeute vient d’une secte de guérisseurs juifs qui soignaient par la danse…) Ils dansent, ils séduisent, ils communiquent, ils font circuler l’énergie et donc, ça les active et ça peut leur ouvrir à d’autres voies. Dans cette société, les gens se sclérosent dans beaucoup de cas avec des activités monolithiques…

Et tu ne crois pas qu’on est à nouveau en train de sombrer dans l’ennui ?

Bien sûr, car cette société passe son temps à enterrer tout ce qui bouge et à le transformer en produit de consommation, c’est tout. Il snous poussent à l’ennui, ils veulent notre pêau, ils veulent qu’on prenne du prozak et lexomil, dont la France est le premier producteur mondial, ce pays est couvert de centrales nucléaires alors que tout le monde abandonne ces programmes… et ils ne nous distribuent même pas de pastilles d’iode ! de toutes manières, ce pays est irresponsable !