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Le Festival de cinéma Fluxus a dix ans. Créé en l’an 2000 par Zeta Filmes (Francesca Azzi, Daniella Azzi, Eduardo Garretto Cerqueira, Roberto Moreira S. Cruz), sa vocation est de présenter le cinéma sous toutes ses formes et de le mettre à disposition du public par le biais d’Internet. La particularité de ce festival est à l’image du mouvement Fluxus qui l’inspire, il mélange tout type de créations, de l’animation à la vidéo expérimentale, en passant par des films créés sur téléphones portables ou avec des webcams, à des films réalisés en Flash… Ce qui rend unique ce festival, c’est la qualité des regards qui y sont présentés. Chaque film représente la vision originale d’un auteur et c’est ce regard qui, au-delà de la multitude des formes, crée une unité et rend ce festival foisonnant et pertinent. Il représente aussi une formidable opportunité pour un grand nombre de réalisateurs indépendants de se faire connaître par-delà les frontières, puisque tous les films sélectionnés par le Festival resteront accessibles en permanence sur Internet.

En l’an 2000, je travaille en France pour le site Gizmoland.com, un site sur les cultures électroniques, un magazine et une galerie d’œuvres en lignes. Les oeuvres sont soit des films courts, soit de la musique électronique, des jeux ou des œuvres interactives. Elles sont disponibles à l’écoute ou au visionnage en streaming et sont aussi proposées à la vente sous forme de fichiers à télécharger. Le rêve de Marc Alvarado, le fondateur de Gizmoland est de mettre en contact direct les artistes avec le public, de supprimer les intermédiaires, afin de proposer des œuvres pointues à un prix accessible pour le public. Notre travail de galeristes en ligne consiste alors à sélectionner des œuvres, puis à les transférer afin de les rendre accessibles sur Internet. Se pose alors la question des formats comme Quicktime ou Real Video et de l’encodage en MPEG pour le son, de la compatibilité de ces différents formats et de l’accessibilité des contenus audiovisuels sur Internet.

Dans le même temps, nous découvrons avec le web de nouvelles formes d’arts visuels, faisant suite à l’art vidéo, au cinéma expérimental ou à l’animation traditionnelle. Le web, la vidéo numérique et les technologies mobiles produisent des films d’un type nouveau : films portatifs, films de surveillance, videoblogs, films en stop motion, en animation 3D, en Flash… Le début des années 2000 représente un temps fort en termes de créativité liée à ces formats et à la possibilité de rendre des récits interactifs. Les festivals dédiés à ces films courts interactifs ou sous forme de série en Flash comme le Festival International du Film pour Internet ou le Flash Festival se multiplient. Là encore, Fluxusonline se démarque par un parti-pris de mélange des genres et des formats, où le film le plus expérimental peut cotoyer un film court narratif humoristique.

Déjà, la question d’un langage de l’image en mouvement propre au web et à ces nouveaux écrans intervient : comment rendre visible et intelligible, une histoire sur un tout petit écran et avec un débit plus ou moins satisfaisant selon les moments ? Quelles conséquences ces contraintes technologiques ont sur l’image et sur la manière de faire des films ? Déjà, il devient évident que la taille des écrans implique l’utilisation de gros plans, où les mouvements et les détails sont gommés au profit d’images ayant un fort impact. Déjà se profile un mouvement vers la simplification de l’image. Le paradoxe d’Internet à cette époque est qu’il reste difficile d’accéder aux œuvres en ligne, faute de plugins ou d’un débit suffisant.

C’est ainsi que la première édition du festival Fluxus aura une allure un peu « pédagogique » pour reprendre les termes de Francesca Azzi, car peu de gens pourront visionner les films dans de bonnes conditions. De même, Gizmoland, dont le public en l’an 2000 est à 80% anglo-saxon, décide d’organiser les Vidéo Cuts, un concours de créations vidéo numériques, afin de donner une meilleure visibilité aux œuvres sélectionnées en les projetant au Centre Pompidou en 2001. Le constat à l’issue des Vidéo Cuts est le suivant : le numérique ne rend pas créatif le tout public comme on a bien voulu le faire croire, mais il facilite la production d’œuvres et permet à de jeunes artistes et réalisateurs d’accéder à la réalisation plus facilement et de se faire connaître plus rapidement par le biais d’Internet. C’est cet événement qui me permet de participer à un débat sur la distribution de courts-métrages sur Internet au Centre Pompidou en 2001 et de rencontrer Nora Barry, la fondatrice de Thebitscreen.

Thebitscreen est la première expérience de festival de films en ligne, puisqu’il est créé en 1998. Comme l’explique Nora Barry, Internet n’est pas simplement un outil de diffusion pour les films, c’est aussi un espace de création. Ce qui l’intéresse, c’est le potentiel du réseau pour créer des œuvres autrement. Elle sera à l’origine de plusieurs expériences collaboratives sur le web, dont Story Streams en 2003. Story Stream part de l’idée du voyage et est réalisé collaborativement par 4 artistes dans 4 pays différents : Fran Illich à Mexico, Pierre Wayser en France et enfin Jeannette Lambert à Montreal. Carlos Gomez de Llarena remixe alors ces trois sources devant le public à Philadelphie et simultanément sur Internet. On n’assiste plus à la progession d’un personnage mais à la progression en simultané de trois histoires où chaque personnage prend la personnalité des deux autres. Cette expérience n’est pas sans rappeler la performance live réalisée par Mike Figgis en 2002 autour de son film Time Code à partir de 4 plans séquences filmés in extenso en vidéo numérique. Devant le public, Mike Figgis réinvente son film en mixant en live chacun des 4 plans séquences, jusqu’alors visibles simultanément sous forme de splitscreen dans les salles de cinéma.

C’est aussi le réseau qui permet à l’artiste Perry Bard de retravailler le film L’homme à la Caméra de DzigaVertov en faisant appel aux internautes pour la réinterprétation de chacune des scènes du film, montrées ensuite aléatoirement dans le cadre d’une installation vidéo sous forme de dyptique, chaque vidéo étant « puisée » à partir de la base de données du site Internet créé par l’artiste. Dans ce questionnement quant aux apports du net ou du numérique au cinéma, Lev Manovitch fait référence dans son texte « What is digital cinema » à la capacité de spatialiser la narration afin de changer le cours linéaire des histoires. Le fait de se déplacer dans l’image, implique le déclenchement d’une autre histoire ou d’une autre séquence, un procédé qu’il utilise dans ses Little Movies. Cette possibilité de se déplacer dans l’histoire comme dans l’arborescence d’un site rhizomique est encore visible dans le film interactif Roue Libre (2002) de Delphine et Muriel Coulin.

Interactivité, pratiques collaboratives, où en est la réflexion autour de ces formes aujourd’hui ? La plupart des discours sur le Web 2.0 fait état d’un contenu généré par l’utilisateur lui-même. Youtube impose même une esthétique du Do it yourself et du Broacast yourself et de l’image low tech qui vient répondre en creux, aux débordements budgétaires de films hyper réalistes conçus en images de synthèse, en 3D ou avec force effets spéciaux. Pour autant, il n’est pas possible de dire que des sites comme Youtube ou Dailymotion remplacent le travail de sélection et de diffusion de festivals comme Fluxus. C’est ce qu’analysent plusieurs commissaires d’expositions (Sarah Cook, Patrick Lichty, Thomas Thiel, Emma Quin) dans le cadre d’une rencontre intitulée Video Vortex qui s’est déroulée en Belgique et en Hollande en 2007. La place du commissaire d’exposition change et ne consiste plus à faire se rencontrer des œuvres et des publics, elle consiste de plus en plus à utiliser sa capacité d’analyse. Cela n’empêche pas par ailleurs de jeunes artistes ou vidéastes de créer des chaînes sur Youtube ou des pages sur Facebook afin de se faire connaître et de diffuser des extraits de leur travail, mais cela ne remplace pas le potentiel de contacts, de rencontres et de foisonnement existant dans un festival.

Fluxus coexiste aux côtés d’autres festivals avec cette prolifération de contenus en ligne et choisit cette année de se dérouler aussi dans l’espace physique et ce, pour la première fois en dix années d’existence. Cette édition en plus de mélanger les genres et les formats s’étend et se répand dans l’espace d’exposition pour se rapporcher de ce que l’on appelle le cinéma étendu (expanded), un cinéma qui n’a plus de limite de taille, de temps, ni d’espace.

http://www.fluxusonline.com
http://www.flashfestival.net
« Stream of stories », BARRY Nora, Séville, 2004, http://www.druidmedia.com/booksscripts/streamsofstories.html
« L’homme à la caméra », BARD Perry, 2007, http://dziga.perrybard.net/
« What is digital cinema » MANOVITCH Lev, http://www.manovich.net/TEXT/digital-cinema.html
Roue libre, un film interactif de Delphine et Muriel Collin à voir sur le site d’Arte.tv
http://www.arte.tv/fr/cinema-fiction/Sens-dessus-dessous/Roue-Libre/349766.html
http://mastersofmedia.hum.uva.nl/2008/01/20/video-vortex-curating-online-video/